Le dogme islamique et la raison
Le mot arabe Al-'Aql (la raison), sur le plan linguistique, signifie initialement : empêcher et retenir. La raison de cette appellation est que la raison empêche quiconque se pare de cette caractéristique de se retrouver dans la perdition et le retient d’accomplir ce qui est blâmable comme actes et paroles. Allah a honoré l’homme et l’a distingué des autres créatures par la raison. C’est par la raison que l’homme est en mesure de distinguer le juste du faux, le bien du mal, l’utile du nuisible … Aucune autre religion n’a élevé le rang de la raison et donné un rôle aussi important comme l’a fait l’Islam.
Cet honneur de l’Islam à la raison se manifeste à travers de nombreux versets dans lesquels Allah a loué tout ce qui entre dans le cadre de l’appellation de la raison. En orientant les fidèles à observer, réfléchir, méditer et penser, Allah élève le rang de la raison. Allah dit :
« Mais seuls les hommes doués de raison tirent des leçons de Nos enseignements. » (Coran 2/269).
Ibn Abbâs (qu’Allah soit satisfait de lui) a dit : « Ceux qui, parmi les gens, font preuve de raison. » Al-Tabarî l’explique ainsi : « C’est-à-dire que seuls les gens raisonnables qui ont saisi ce qu’Allah a ordonné et interdit. »
Allah dit :
« C’est ainsi qu’Allah redonne vie aux morts et vous montre Ses signes afin que vous les méditiez. » (Coran 2/73).
« Nous avons révélé le Livre sous forme d’une récitation en langue arabe, afin que vous puissiez en comprendre la signification. » (Coran 12/2).
« C’est ainsi qu’Allah vous expose clairement ces préceptes afin que vous les compreniez. » (Coran 24/61).
« Voici un livre béni que Nous t’avons révélé afin que les hommes en méditent les enseignements et que ceux qui sont doués de raison en tirent des leçons. » (Coran 38/29).
Le Coran regorge de versets qui motivent l’homme à réfléchir et méditer de façon à trouver la voie qui le mène sur la vérité. Allah dit :
« Dans la création des cieux et de la terre, l’alternance du jour et de la nuit, les vaisseaux qui voguent en mer pour le bien des hommes, l’eau qu’Allah fait descendre du ciel et par laquelle Il redonne vie à la terre morte, la diversité des espèces animales qu’Il a dispersées sur terre et celle des vents, les nuages soumis à la volonté d’Allah entre ciel et terre, en tout cela il y a des signes suffisamment clairs pour des hommes capables de raisonner. » (Coran 2/164).
Un des honneurs d’Allah à la raison est que la responsabilité des préceptes religieux est liée à la raison. Ainsi, un individu n’est pas tenu de rendre compte des préceptes religieux s’il ne dispose plus de sa raison. C’est le cas de celui qui dort, du fou et de l’enfant qui n’est pas encore pubère. Le Prophète () a dit : « La responsabilité est levée pour trois personnes : le fou jusqu’à ce qu’il guérisse, celui qui dort jusqu’à ce qu’il se réveille et l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la puberté. » Rapporté Abou Daoud et jugé authentique par Al-Albânî.
Ibn ‘Aqîl clarifie le sens de la responsabilité mentionnée dans le hadith : « Il s’agit des actes requis et de ceux qu’on exige de délaisser. Il faut s’y conformer notamment en ce qui concerne les actes obligatoires dans leur ensemble comme le monothéisme, la prophétie, la prière et tout ce qui va dans ce sens. Ceci concerne tout individu qui jouit de sa raison et a atteint l’âge de la puberté. »
Al-Âmidî a dit : « Les sages sont unanimes pour affirmer qu’il est une condition, pour devoir assumer la responsabilité des préceptes religieux, de disposer de sa raison. Il doit comprendre ce qu’on attend de lui. Cette responsabilité lui est présentée par un discours qui lui est adressé. Or, il n’est pas possible d’adresser un discours à quelqu’un qui ne jouit pas de sa raison et ne comprend pas ce qu’on lui dit, comme si c’était un être inanimé ou un animal. »
Ainsi, aucun dogme n’avait honoré la raison comme l’a fait le dogme islamique.
La raison diffère d’un homme à un autre. Elle est aussi l’objet de faiblesse et de défaillance comme c’est le cas de tout attribut humain. Wahb ibn Munabbih a dit : « Tout comme les arbres donnent des fruits différents, les hommes ont chacun une raison qui est de degrés différents. » Aussi, l’Islam a défini des limites à la raison. Et quelles que soient les capacités de compréhension et la force qu’elle puisse atteindre, la raison restera toujours inopérante dans bien des domaines. En effet, la raison a été créée pour des fonctions particulières bien définies. Et si elle sort de ce cadre, elle mènera son homme à errer dans les ténèbres et se noyer dans les ambiguïtés. Et il en sera confus et perturbé. Partant, l’Islam a enjoint le musulman à se soumettre et se conformer aux impératifs religieux authentiques, même s’il n’en comprend pas ou n’en saisit pas la sagesse qui y sous-tend. Le premier péché qui a été commis dans l’histoire l’a été parce que celui qui s’en est rendu coupable ne s’était pas conformé à l’ordre qu’il avait reçu. Quand Allah intima l’ordre à Satan de se prosterner devant Adam, il s’est enorgueilli et a désobéi. Il a comparé sa nature à celle d’Adam. Et comme sa compréhension et sa réflexion ne lui avaient pas permis de saisir la sagesse de cet ordre divin, il refusa de s’y conformer. Il a donc désobéi et en fut puni. Allah dit :
« Nous avons, avant cela, créé votre père Adam en lui donnant la forme la plus accomplie. Puis Nous avons ordonné aux anges de se prosterner devant lui, ce qu’ils firent à l’exception de Satan qui refusa de se joindre à eux. Le Seigneur dit : « Qu’est-ce qui t’a empêché de te prosterner comme Je te l’ai ordonné ? » « Je suis supérieur à lui, Tu m’as créé de feu et lui d’argile », répondit Satan. Le Seigneur dit : « Descends du Paradis ! Tu n’as pas à te montrer orgueilleux en ce lieu. Sors d’ici ! Te voilà à jamais rabaissé. » » (Coran 7/11-13).
Dans son exégèse, Al-Baghawi a dit : « Ibn Abbâs a dit : Satan est le premier à avoir recouru à l’analogie. Mais ce faisant, il s’est trompé. Aussi, quiconque compare (en s’aidant de sa seule raison) les injonctions religieuses à ce que sa raison conçoit, c’est comme si Allah l’avait comparé à Satan. »
Al-Chahrastânî a dit : « Sache que la première conviction erronée qui est apparu dans la création est celle de Satan, qu’Allah le maudisse. L’origine de cette conviction erronée est qu’il s’est montré injuste en recourant à sa raison face au texte religieux. Il a choisi sa passion pour s’opposer à l’ordre divin. Il s’est enorgueilli de la matière de laquelle il a été créé, à savoir le feu. Il l’a considéré meilleure que celle d’Adam qui fut créé de terre. »
C’est pour cette raison que l’Islam a interdit à la raison d’agir dans un cadre qu’elle ne saisit pas et qu’elle n’est pas en mesure de saisir. La raison ne peut mener à la vérité que si elle s’appuie sur la révélation. Et la révélation n’annule pas le rôle de la raison.
Nombreux sont les points du dogme dont la raison ne peut saisir la véritable nature ou les modalités. C’est le cas des attributs et des actes divins et de la nature de certains faits qui se dérouleront le jour de la résurrection et qui sont imperceptibles pour l’homme. Ce que la religion exige de la raison est qu’elle se soumette aux textes religieux authentiques même si elle n’en saisit pas la sagesse qu’ils recèlent.
Dans son ouvrage Al-Hujja Fî Bayân Al-Mahajja, Abou Al-Qâsim Al-Asbahânî a dit : « Quiconque réfléchit sur l’entité d’Allah et Ses attributs s’égarera. Et quiconque réfléchit à la création d’Allah et Ses signes augmentera sa foi. »
Dans son ouvrage Al-Tanwîr Fî Charch Al-Jâmi’ Al-Sahîh, Al-San’ânî a dit : « Il est proscrit de réfléchir sur l’entité divine car on ne peut exercer une réflexion que sur un objet qui est connu et su. Or, Allah est bien au-dessus de cela et personne ne le cerne de son savoir. »
Dans son ouvrage Al-I’tisâm, Al-Châtibî a dit : « Allah a défini des limites à la raison et elle ne peut les dépasser. Il ne lui a pas donné les moyens de saisir tout ce qu’elle veut. Si c’était le cas, la raison serait sur pied d’égalité avec Allah et pourrait saisir tout ce qui a été, tout ce qui sera, et tout ce qui ne sera pas. »
Dans Majmû’ Al-Fatâwa, Ibn Taymiyya a dit : « La raison est une condition pour acquérir les savoirs et aussi pour que les actes des fidèles soient accomplis et vertueux. Le savoir et les actes ne peuvent être pleinement accomplis que par la raison. Mais la raison ne peut à elle seule remplir ce rôle. »
La religion de l’Islam, dans son dogme et sa législation, ne contient rien qui s’oppose à la raison et la prime nature de l’homme. Et même si dans certaines situations la raison ne peut saisir seule certains cas, la législation peut comporter des faits qui laissent la raison confuse, mais pas des faits que la raison ne peut concevoir. La religion établit une distinction entre d’une part, ce que la raison ne peut concevoir comme étant un bien, et, d’autre part, ce que la raison peut attester comme étant mal. Les messagers sont justement envoyés pour le premier cas, pas pour le deuxième. »
Dans son ouvrage Al-Intisâr Li Ahl Al-Hadith, Abou Al-Mudhaffar Al-San’ânî a dit : « Sache que la différence fondamentale entre nous et les hérétiques se situe au niveau de la question de la raison. Les hérétiques ont posé les fondements de leur conception de la religion sur la raison. Ils considèrent que la raison est le pilier central de la religion et que les fidèles doivent se conformer à ce que leur dicte la raison. Et aussi, que les textes scripturaires doivent être compris en fonction de la raison. Quant aux adeptes de la Sunna, ils disent : Le principe fondamental de la religion consiste à se conformer aux textes du Coran et de la Sunna et la raison doit se conformer à ces textes. Si la raison devait être le pilier central de la religion alors les gens auraient pu se dispenser de la révélation et des prophètes (que la paix soit sur eux). Les ordres et les interdits religieux n’auraient plus de sens. Chacun pourrait affirmer ce qu’il veut. Si la religion reposait sur la raison, il ne serait pas permis aux musulmans d’accepter quoi que ce soit jusqu’à ce qu’il le saisisse … Or, nous devons accepter tout ce que notre raison conçoit par foi et conviction. Et ce que nous ne sommes pas en mesure de saisir par notre raison, nous devons l’accepter par soumission et acceptation. Tel est le sens de l’expression employée par un adepte de la Sunna : L’Islam est un pont qu’on ne peut traverser qu’en se soumettant. »
Ibn Al-Wazîr a dit : « La raison est une des sources de la connaissance religieuse. Ceci dit, ce n’est pas une source de connaissance indépendante en soi. Elle nécessite d’être alerté sur les textes de la religion et orienté vers les preuves scripturaires. Se référer uniquement sur la raison est le chemin qui mène à la division et la discorde. »
Remarque : la raison saine et le texte authentique :
La raison saine ne contredit pas un texte authentique. La raison a été créée par Allah et le texte authentique est un de Ses ordres. Ils ne s’opposent pas puisqu’ils ont la même source qui est Allah. Allah dit :
« Il est le Maître de la Création sur laquelle Il règne souverainement. » (Coran 7/54).
Al-Sa’dî explique : « Il possède tout ce qu’il a créé et de Sa création émane tout ce qui existe comme créature, dans les hauteurs et les profondeurs, les individus et leurs descriptions et aussi leurs actes. Et Sa souveraineté comprend les lois et les prophéties. »
Ibn Taymiyya a dit : « Les musulmans puisent toutes les sources de leur religion dans le Coran, la Sunna et le consensus des prédécesseurs et des imams. Qu’il s’agisse du dogme, des actes de culte ou autre. Agir ainsi ne s’oppose pas à la raison. Tout ce qui s’oppose à la raison saine est vain. Or, il n’y a rien dans le Coran, la Sunna et le consensus qui le soit. En revanche, il peut y avoir des termes que certaines personnes ne comprennent pas, ou en comprennent un sens erroné. La faute vient d’eux et non pas du Coran et de la Sunna. »
L’imam Mohammed ibn Chihâb Al-Zuhrî a dit : « D’Allah vient le savoir, le Messager nous le transmet et à nous de nous y soumettre. »
Al-Asbahânî a dit : « Les adeptes de la vérité font du Coran et de la Sunna leur référence. Et c’est à partir de cette référence qu’ils cherchent à mettre en pratique leur religion. Aussi, tout ce qui émane de leur raison, ils le confrontent aux textes du Coran et de la Sunna. Ils acceptent ce qui en est conforme et remercient Allah pour leur avoir montré la vérité et permit de s’y conformer. Mais si ce qui émane de leur raison s’oppose au Coran et à la Sunna, ils le délaissent et se dirigent vers leur référence en retournant l’accusation de mauvaise compréhension contre leurs propres personnes. »
Ibn Taymiyya a composé un ouvrage dont le titre est : Dar’ Ta’ârud Al-‘Aql Wa Al-Naql qui signifie : Il n’y a pas de contradiction entre la raison et la religion. Ce livre a un autre titre qui est : Bayân Muwâfaqat Sahih Al-Manqûl Li Sarîh Al-Ma’qûl, soit : Mise en évidence de l’accord entre l’authentique des textes de la religion et la saine raison. Il y explique – comme l’ont fait d’autres savants – qu’il n’y a pas de contradiction entre un texte authentique (les hadiths prophétiques) et la saine raison (une raison saine de toute déviance et de confusion). Et s’il peut arriver qu’on puisse se méprendre et voir une contradiction entre un texte authentique en lien avec un fait imperceptible ou autre et la raison, alors il est obligatoire de faire prévaloir le texte sur la raison. En effet, le texte est fermement établi alors que la raison est versatile. Le texte est immunisé contre l’erreur, ce qui n’est pas le cas de la raison … Aussi, cette contradiction ne l’est qu’en apparence, et non dans la réalité des faits. Il n’est pas possible qu’un texte authentique s’oppose à une raison saine. Et s’il arrive qu’on trouve une contradiction alors c’est que le texte n’est pas authentique ou que la raison n’est pas saine. Ibn Taymiyya a dit : « Les preuves rationnelles et claires s’accordent avec les enseignements des messagers. La raison saine ne s’oppose pas aux textes authentiques … Tout ce qui a été enseigné par le Prophète () est la vérité dont les propos se renforcent et s’accordent avec la prime nature et la raison saine dont les hommes ont été dotés. »
Le dogme islamique élève le rang de la raison et son statut. Il fait du lien entre la raison et la religion un lien d’harmonie. Et il n’est pas possible que la saine raison s’oppose aux textes authentiques de la religion. Le rôle de la raison est de réfléchir sur les textes de la religion et méditer la révélation qui est immunisée contre l’erreur. Le rôle de la raison n’est pas de porter un jugement sur les textes du Coran et de la Sunna ni de se référer à la raison pour les juger. Ibn Taymiyya a dit : « Les messagers nous ont informé des détails du Jour de la résurrection. Ils nous ont prescrit des lois dans les moindres détails. Et les gens ne peuvent cerner tous ces détails. Il en est de même pour le détail des informations relatives aux Noms et Attributs divins. Les gens ne peuvent les saisir par leurs raisons. Même s’ils peuvent toutefois en saisir quelques points. »
La raison accompagnée de la révélation – le Coran et la Sunna – est tel le trésor des yeux avec la lumière du soleil. L’œil ne peut pas voir si ce n’est à la lumière du soleil. Dans Majmû’ Al-Fatâwa, Ibn Taymiyya a dit : « C’est par le biais de Mohammed () que s’est distingué la mécréance de la foi, le gagnant du perdant, la voie droite de l’égarement, le salut de la damnation, le droit chemin de la voie de l’égarement, ceux qui sont enclins à dévier de ceux qui se maintiennent sur la juste voie, les habitants du paradis des damnés de l’enfer … Il est donc du devoir de chacun de fournir tous les efforts en sa capacité pour prendre connaissance des enseignements du Prophète () et lui obéir puisque c’est la voie du salut qui permettra d’échapper au douloureux châtiment et d’obtenir le bonheur dans la demeure de la félicité. Or, cette voie ne peut être connue et empruntée que par le biais des textes du Coran et de la Sunna qui nous ont été transmis. La raison ne suffit pas à elle seule pour connaitre et emprunter la voie du salut. Et tout comme un œil ne peut voir ce qu’il y a devant lui s’il n’y a pas de lumière, la lumière de la raison ne peut pas emprunter le droit chemin sans que le soleil du message divin l’éclaire.